Mondes nordiques et normands médiévaux

Coordinateurs : Pierre Bauduin et Alban Gautier

L’une des principales modifications de la structuration de la recherche pour le quinquennal 2022-2026 réside dans le passage d’un axe transversal « Mondes normands médiévaux » à un thème « Mondes nordiques et normands médiévaux ». Le choix de l’intitulé, ajoutant « nordiques » à « normands », résulte non seulement d’une volonté de rendre plus lisibles ces recherches, mais correspond aussi à une inflexion visant à élargir les champs chronologiques au-delà des IXe-XIIe s., un élargissement mieux adapté à l’évolution des activités de recherche et à leur dimension internationale. Il permet également d’approfondir la dimension comparatiste et interdisciplinaire de ce domaine d’étude.

Programme 1 : Mobilités, circulations et réseaux

Les premières générations de la conquête

Par premières générations, il faut entendre celles qui participèrent à la conquête et à l’établissement durable des dominations « normandes » dans ces espaces. Avec l’Angleterre et, à un degré bien moindre, l’Italie, nous avons les premières conquêtes pour lesquelles est envisageable une étude à large échelle (i.e. pas uniquement des principaux chefs militaires et politiques) des participants, en raison de la documentation rassemblée et partiellement traitée dans divers outils ou corpus. Le programme aura un double volet, l’un documentaire – édition de sources historiographiques et diplomatiques ; poursuite des fiches noms de personnes et de lieux 911-1135 élaborées dans les projets Vexicaen et Normonde (2017-2019) à partir des actes diplomatiques ; élargissement vers les sources historiographiques et nécrologiques – et l’autre discursif pour livrer les résultats de l’enquête dans des articles, des séminaires ou des rencontres scientifiques ; le tout en approfondissant des collaborations internationales. Ces aspects sont abordés dans le programme Pax Normanna (voir ci-dessous) et bénéficieront de l’apport de thèses dont la publication est prévue sur “Vikings in Aquitaine and their connections, ninth to early eleventh centuries” (S.Lewis) ou en cours de réalisation sur “Mobilités et réseaux aristocratiques dans les mondes normands médiévaux : les élites entre Vire et Dives (Xe – XIIIs.)”  (B.Michel).

Mobilités, réseaux et espaces à travers la Manche

Cette thématique, fortement liée aux précédentes, a vocation à être abordée sur le temps long. Une version remaniée du mémoire inédit d’HDR de L. Jean-Marie (“Le prince, la Normandie et la mer, milieu du XIIe s.-1204″), est en préparation. Les travaux seront engagés ou poursuivis dans plusieurs directions : les mobilités et réseaux transmanche, le rôle des marchands et gens de mer normands, y compris après 1204, la gestion des biens anglais des établissement ecclésiastiques normands, les circulations et réseaux pendant la guerre de Cent Ans, et spécialement la période de l’« occupation » anglaise au XVe s., les espaces littoraux et les ports ainsi que l’axe stratégique de la Seine. L’exploitation de l’indexation commune des bases de données et éditions multimodales de sources (Scripta, E-cartae, E-personae, Norécrit, ACTEPI…) viendra nourrir ces recherches, qui bénéficieront également de l’exploitation des textes de coutumes (voir programme 3.4).

Circuits monétaires et relations sociales

Les trouvailles monétaires de l’époque viking faites en Suède sont exceptionnelles aussi bien par leur nombre (260 000 pièces) que par la documentation les concernant. J. C. Moesgaard prévoit de poursuivre cet effort de publication engagé depuis plusieurs décennies, afin d’approfondir l’étude des modalités de l’utilisation de la monnaie par les vikings, de renforcer les bases méthodologiques employées pour l’étude des monnaies normandes, et de développer les recherches en cours sur l’atelier monétaire de Lund au XIe s. De son côté, T. Cardon propose, pour la Normandie des XIe-XVs., une détermination des différentes circulations monétaires. Le modèle visera à distinguer pour un même contexte plusieurs « circuits » de masse monétaire, ni tout à fait étanches, ni tout à fait perméables, dont la composition, les usages, les utilisateurs sont spécifiques.

Programme 2 : Violence, cultures martiales, guerre et paix

Pratiques et cultures de la violence

Il s’agira d’explorer  les rapports entre d’une part la pratique et l’encadrement de la violence, et d’autre part la culture des groupes exerçant cette violence. Cette culture est bien sûr martiale, valorisant des comportements guerriers, mais elle intègre bien d’autres aspects : pratiques de négociation, traitement des vaincus, idées religieuses (païennes ou chrétiennes), usages littéraires (par ex. la poésie scaldique composée par les chefs et dans leur entourage). Les projets de deux doctorants, J.-L. Parmentier (“Rançon et traitement des captifs dans l’Europe du Nord, VIIe-XIe s.”) et V. Barabino (“Cultures militaires et cultures religieuses en Scandinavie, Xe-XIVe s.”), s’inscrivent dans ce champ. Les travaux d’A. Gautier sur les « communautés héroïques » s’inscriront aussi dans ce  même champ, ainsi que la journée d’étude organisée en mars 2022 à Caen sur les “Guerriers du Nord” dont les actes seront publiés dans la revue Mediévales.

Pratiques diplomatiques et pacification en Scandinavie

Dans le prolongement de sa thèse, S. Lebouteiller consacre ses travaux aux pratiques diplomatiques de l’époque viking au XIIIᵉ s. Plus spécifiquement, il s’intéresse aux configurations des échanges et des résolutions de conflits entre élites guerrières et aristocratiques en Scandinavie, ou entre les Scandinaves et leurs interlocuteurs européens. Plusieurs publications sont prévues dans ce cadre dont les actes du colloque d’Oslo (22-23 février 2018), “Peacemaking and the Restraint of Violence in Medieval Europe (1100-1300)”, et un chapitre dans l’ouvrage collectif The Cambridge History of International Law, vol. 5 (dir. J. Benham, Cambridge University Press).

De la guerre à la paix : conquérir, soumettre, gouverner

Prévu sur une durée de cinq ans (2022-2026), Pax Normanna, porté par P. Bauduin (Craham) et A. Peters-Custot (Université de Nantes, CRHIA UR 1163), envisage une analyse comparée des phénomènes de transition et d’accommodation liés aux conquêtes « normandes » dans les territoires bordant les mers septentrionales et la Méditerranée. Dans le prolongement de ces perspectives comparatistes, R. Berardi propose une enquête sur le rôle de la seigneurie laïque et ecclésiastique dans les mondes normands. La question des représentations et usages de la violence, notamment par le prince, est le fil conducteur de la thèse d’H. Fresnel (“Conceptions et usages de la violence dans les mondes normands médiévaux, 911-1154 : une préhistoire de la violence d’État ?”).

L’étude de la construction de la principauté normande aux Xe-XIe s. privilégiera deux aspects : le travail sur la monnaie normande du Xe siècle, entrepris par J. C. Moesgaard en collaboration avec l’IRAMAT (UMR 5060 Orléans) et la poursuite des recherches de P. Bauduin sur l’étude du règne de Richard II, duc de Normandie (996-1026).

Un troisième volet finalisera ou poursuivra des enquêtes archéologiques visant à mieux approcher les lieux fortifiés sur le temps long : le Fort de Limaye à Igoville (Seine-Maritime) par V. Carpentier et C. Marcigny, le château de Maulévrier (Seine-Maritime) par A. Painchault, le château vicomtal de Bayeux (Calvados) par G. Schütz et L. Bourgeois, les structures castrales de l’Avranchin par M. Casset. Ce volet archéologique sera en cohérence avec les travaux sur le château de Caen (voir thème 2) et la publication des fouilles entreprises par B. Guillot sur ce site.

Programme 3 – Pouvoirs, réseaux et pratiques documentaires dans l’Église et la société de l’Europe du Nord-Ouest

Structures, réseaux et élites religieuses

Les recherches de G. Combalbert sur les évêques, les institutions cathédrales et les auxiliaires épiscopaux en Normandie au Moyen Âge s’appuient en premier lieu sur des corpus d’actes épiscopaux normands dont l’édition est prévue (voir thème 3) et qui sont exploitées dans le cadre du projet ACTEPI (ANR 2019-2022). G. Combalbert proposera plusieurs articles sur l’entourage des évêques normands, leurs relations avec les institutions monastiques et canoniales, les hommes qui agissent en milieu cathédral, ainsi que les doyens de chrétienté.

La recherche inclut l’Église régulière, en poursuivant les travaux sur les abbés et les pouvoirs séculiers à la fin du Moyen Âge suite à la thèse de F. Paquet (“Des crosses et des couronnes. Pouvoirs abbatiaux et pouvoirs royaux dans le diocèse de Rouen, fin du XIIe s.-milieu du XVe s.”). V. Gazeau projette de poursuivre ses travaux sur la prosopographie des abbesses bénédictines et cisterciennes normandes (XIe-XIIIe s.) et de diriger un ouvrage sur la place de Cluny en Normandie. La période devrait aussi voir l’aboutissement de la thèse de J. Charles sur “Notre-Dame de Silly et ses archives. Une abbaye prémontrée et ses réseaux religieux, politiques et sociaux (XIIe-XIIIe s.)”. Enfin, S. Lecouteux poursuit l’étude des réseaux monastiques et de confraternité.

Hagiographie et culte des saints

La valorisation des thèses de L. Vangone (“L’hagiographie latine du duché de Normandie, 911-1204. Établissement d’un corpus raisonné de textes et analyse littéraire et historique”) et de L. Trân Duc, (“Maîtrise du culte des saints et enjeux de pouvoir dans les établissements ecclésiastiques du diocèse de Rouen, IXe-XIIIe s.”) passera entre autres par l’enrichissement et la mise en ligne du répertoire des textes hagiographiques produits dans le duché de Normandie (ReTeHNor : Repertorium textuum Hagiographicorum in Northmannia conscriptorum), élaboré par L. Vangone avec l’aide du Pôle du document numérique. De nouvelles enquêtes seront menées par L. Trân Duc, en particulier sur la reine Emma de Normandie qui, dans la première moitié du XIe s., semble mener une véritable “politique des reliques” transmanche.

Archéologie des abbayes, prieurés et églises paroissiales de Normandie

L’abbaye de Saint-Évroult (Orne) fera l’objet d’une prospection géophysique en vue de l’élaboration d’un programme de fouilles (A.-S. Vigot). Sont également prévues des monographies sur Notre-Dame-d’Outre-l’Eau à Rugles (Eure) (M. Varano, Université de Rouen, et N. Wasylyszyn), sur l’église de Vieux-Pont-en-Auge (Calvados) (N. Wasylyszyn), et sur les monastères de Savigny, Sainte-Barbe-en-Auge et Bon-Repos (J.-B. Vincent), ainsi qu’un travail de synthèse sur les abbayes cisterciennes de l’Ouest (J.-B. Vincent).

Pouvoirs, normes et pratiques de l’écrit dans les villes

Dans le sillage du RIN Norécrit, L. Jean-Marie poursuit l’étude des échanges de marchandises à travers la Manche et des pratiques de l’écrit en milieu urbain. Il s’agit de mettre en évidence les finalités pratiques de ces textes. D’autres sources pourront alors être sollicitées pour alimenter la réflexion : enquêtes et sources judiciaires. Une comparaison avec d’autres espaces est prévue et des sujets de thèse portant sur ces textes seront proposés.

Programme 4 – Écrire l’histoire des mondes nordiques et normands du Moyen Âge à nos jours

Histoire des mondes nordiques : synthèses

Depuis les travaux de L. Musset, aucune synthèse n’a été tentée en français portant sur l’ensemble des mondes nordiques (des îles Britanniques à la Baltique) sur la longue durée, depuis la préhistoire jusqu’à l’achèvement de la christianisation et de la consolidation des régimes monarchiques au XIIe s. C’est une telle synthèse qu’A. Gautier propose d’écrire en collaboration avec A. Lehoërff (Université de Lille) et S. Coviaux (Paris). Il publiera aussi un chapitre de synthèse sur “La Grande-Bretagne et l’Irlande” dans un volume de la collection “Nouvelle Clio”.

Écrire l’histoire des mondes normands

Les recherches sur l’historiographie des mondes normands seront poursuivies en collaboration avec le thème 3. F. Paquet et S. Lecouteux publieront dès 2022 les actes du colloque de Cerisy-la-Salle (25-29 septembre 2019), « Maîtriser le temps et façonner l’histoire. Les historiens normands aux époques médiévale et moderne ». Seront aussi approfondies les recherches sur les écritures et réécritures médiévales de l’histoire, en particulier pour les annales et chroniques normandes de la fin du Moyen Âge. Deux textes ou ensemble de textes seront privilégiés : une réédition de la « chronique du Bec », texte latin écrit à l’abbaye du XIIe au XVe s. (F. Paquet), et une édition numérique du corpus des annales normandes médiévales (F. Paquet, S. Lecouteux). M.-A. Lucas-Avenel publiera le vol. 2 de son édition et traduction de l’Histoire du Grand Comte Roger et de son frère Robert Guiscard, de Geoffroi Malaterra. J. Le Maho publiera ses recherches sur une source présumée des Gesta de Dudon de Saint-Quentin, la première Vie de Guillaume Longue Épée, duc de Normandie. Enfin, S. Lebouteiller poursuivra ses travaux sur la connaissance et la transmission de l’histoire des mondes normands médiévaux dans l’historiographie scandinave, examinant la nature des traditions nordiques autour des mondes normands pour en déterminer les spécificités et les liens avec la documentation normande et anglo-normande : après sa traduction récente de la Knýtlinga saga, il envisage l’étude et la traduction d’autres textes norrois dans cette même perspective.

La Tapisserie de Bayeux

Les recherches menées par J. Le Maho sur les sources textuelles de la Tapisserie de Bayeux se poursuivent autour de la question des rapports entre le récit de la broderie et l’historiographie des événements de 1066. Le projet de redéploiement de la Tapisserie dans un nouveau musée, mais aussi la récente création par le CERTIC (UNICAEN) et le Pôle document numérique de la MRSH d’un nouvel outil numérique pour la Tapisserie, s’accompagnent d’un volet recherche articulé au parcours de master « Métiers du patrimoine : archives et musées ». Les enseignants-chercheurs du Craham encadreront les étudiants qui suivent ce parcours dans la réalisation d’un travail de recherche bibliographique sur des scènes spécifiques de la Tapisserie ; les étudiants de master seront, dans le même temps, formés par le personnel de la MRSH afin que leur recherche puisse enrichir le site internet en construction. À terme, les visiteurs du site pourront consulter des bibliographies à jour correspondant à chaque scène ou chaque objet.

Diffusion des activités

La diffusion des activités du thème 1 sera dynamisée par le cycle de séminaires “Monde nordiques et normands médiévaux” mis en place à l’automne 2021 et l’organisation de journées d’actualité sur cette thématique. Une partie atelier pourrait être initiée, en lien avec le thème 3, afin de travailler sur des sources (par ex. le poème satirique Moriuht). Une partie des travaux du thème viendra alimenter la revue électronique Tabularia et le carnet en ligne “Mondes nordiques et normands médiévaux“, fondé en 2014 et relancé début 2022, en y associant plus étroitement de jeunes chercheurs.