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Projet RIN-EMERGENT « ANCESTOR » : ANomalies de Croissance dES populaTions nOrmandes immatuRes (IVe au XVIIe s.)


Le projet ANCESTOR est financé par l’Union européenne dans le cadre du programme opérationnel FEDER/ FSE 2014-2020. L’objectif de l’étude ANCESTOR est d’obtenir des protocoles fiables d’analyse de pathologies osseuses, de troubles de croissance et de pathologies carentielles des enfants entre 0 et 5 ans. Envisagée pour constituer une aide à une meilleure évaluation de l’état sanitaire des populations normandes au cours des périodes antique et médiévale, elle permettra de constituer un référentiel pathologique et d’élaborer un modèle interprétatif logiciste de diagnostic utilisable par la communauté archéo-anthropologique pour l’identification de maladies ou de carences osseuses des sujets immatures en comparant quatre méthodes d’analyse (macroscopie, radiographie, microtomodensitométrie, histologie).

London, British Library, Yates Thompson, MS 12, f. 152v

Porteur scientifiques :

Direction scientifique : Cécile Chapelain de Seréville-Niel

Liste des membres du projet :

  • Samuel Bédécarrats, Craham
  • Denis Bougault, Craham
  • Antoine Cazin, la fabrique des patrimoines en Normandie
  • Cécile Chapelain de Seréville-Niel , Craham
  • Maëlle Guyot-Coquemont, ICORE
  • Nicolas Delcroix, CYCERON
  • Nicolas Elie, CMABio3
  • Didier Goux, CMABio3
  • Florian Lemonnier – Craham
  • Magali Lepley, Craham
  • Mikael Naveau, CYCERON
  • Julia Pacory, Craham
  • Hanadi Skeif, CYCERON

Partenaires :

  • Craham
  • CAMBio3
  • Cycéron
  • La fabrique des patrimoines en Normandie
  • CRISMAT
  • Université de Caen Normandie
  • CNRS
  • Europe
  • Région Normandie

L’état de santé des enfants dépend de plusieurs facteurs biologiques et socio-culturels interconnectés aussi bien intrinsèques (e.g. age, sexe, génétique) qu’issus de l’environnement immédiat (e.g. famille, alimentation, conditions d’habitation) et général (e.g. pollution, épidémie, accès aux soins) (World Health Organization, 1993). L’étude des états pathologiques concernant les immatures dans les collections ostéoarchéologiques permet ainsi de caractériser ces derniers en tant qu’acteurs des sociétés du passé et témoins des comportements culturels et des conditions de vie (Baxter, 2008, 2005).

En archéologie, l’étude des pathologies affectant les enfants est soumise à de nombreuses limites dont la plupart sont liées à la nature même de l’os en croissance (Lewis, 2018a). L’examen paléopathologique macroscopique repose sur un registre restreint de modifications de surfaces pouvant être communes à plusieurs pathologies. Ce champ d’observations possibles peut s’avérer insuffisant pour identifier certaines pathologies. Par exemple, les néoformations osseuses résultant d’infections ou de traumatisme sont difficilement différentiables de celles résultants du processus normal de croissance de l’os (Lewis, 2018b). De plus, les stress biologiques et les pathologies les plus susceptibles de toucher un individu varient selon son âge (Gordon et al., 1967). De surcroît, les données cliniques et épidémiologiques montrent que les pathologies des enfants sont rarement uniques : la morbidité et la mortalité des sujets immatures sont très fortement associées aux interactions synergiques entre les carences nutritionnelles et les maladies infectieuses (Mensforth et al., 1978). Ces coexistences de phénomènes impactent directement l’aspect macroscopique que prend une pathologie. Enfin, tout examen paléopathologique doit également considérer les manifestations pseudopathologiques qui peuvent mimer une réaction osseuse anormale telles que la variabilité biologique ou les altérations taphonomiques (Corron et al., 2017).

En raison de l’ensemble de ces facteurs, le diagnostic des pathologies sur les ossements d’individus immatures peut être complexe à établir. Les observations macroscopiques s’avèrent souvent insuffisantes et le recours à des méthodes d’imagerie par rayons X (Vidal, 2008), à des observations en lame mince (De Boer et al., 2013) ou à des diagnostics génomiques (Ottini et al., 2005) aide à préciser les hypothèses de diagnostic.

L’objectif de l’étude ANCESTOR est d’obtenir des protocoles fiables d’analyse de pathologies osseuses, de troubles de croissance et de pathologies carentielles des enfants entre 0 et 5 ans. Envisagée pour constituer une aide à une meilleure évaluation de l’état sanitaire des populations normandes au cours des périodes antique et médiévale, elle permettra de constituer un référentiel pathologique et d’élaborer un modèle interprétatif logiciste de diagnostic utilisable par la communauté archéo-anthropologique pour l’identification de maladies ou de carences osseuses des sujets immatures.

Ce projet vise également à mettre en commun des techniques d’analyse peu accessibles habituellement en archéologie et peu utilisées conjointement en mutualisant des moyens existants dans plusieurs des laboratoires et plateformes de services de l’université de Caen Normandie ou de la région :

  • le Centre de Recherches Archéologiques et Historiques Anciennes et Médiévales (Craham, UMR 6273 CNRS UNICAEN), porteur du projet et disposant d’une plate-forme d’histologie ;
  • le Centre de Microscopie Appliquée à la Biologie (CMAbio3), plate-forme de la Structure Fédérative de Recherche (SFR) 4206 « Interactions Cellules Organismes Environnement » (CORE) ;
  • CYCERON, plateforme IBISA d’imagerie en recherche biomédicale (neurosciences, cardio-sciences et cancérologie), offrant des prestations d’imagerie ;
  • La fabrique de patrimoines en Normandie, établissement public de coopération culturel, dont le pôle conservation, restauration et imagerie scientifique est spécialisé dans la prestation en imagerie.

La transdisciplinarité est ici de mise avec un partenariat scientifique associant imagerie médicale, sciences biomédicales et sciences humaines et sociales.

Pour mener cette étude, 157 individus décédés avant l’âge de 5 ans et inhumés dans des cimetières normands utilisés entre les IVe et XVIIe siècles ont été sélectionnés. Cinquante-trois proviennent de la nécropole « Michelet » de Lisieux (Paillard et Alduc-Le Bagousse, 2022), 41 du groupe épiscopal de Rouen (Niel, 2009), 33 de Notre-Dame de Cherbourg (Alduc-Le Bagousse et Pilet-Lemière, 1986) et 30 de l’église Saint-Pierre de Thaon (Chapelain de Seréville-Niel, 2019). Ces collections font partie du très riche corpus ostéoarchéologique du Craham et dont la spécificité réside dans son volume et son homogénéité, tant géographique que chronologique et contextuelle. En effet, l’origine quasi exclusivement normande des séries conservées, leur appartenance majoritaire à une période historique bien délimitée de l’Antiquité à la période moderne et la taille importante des échantillons disponibles constituent un atout majeur non seulement pour l’étude historique, sociologique et anthropologique d’une région, mais également pour questionner les variations des conditions de vie et épidémiologiques.

Pour chaque individu, un fragment de crâne et un tibia sont isolés et font l’objet d’un examen macroscopique approfondi s’appuyant sur un protocole descriptif standardisé. Les pièces échantillonnées sont ensuite acquises en radiographie (La Fabrique de Patrimoines en Normandie), en microtomodensitométrie (CYCERON) et préparées pour obtenir des lames minces servant de support à une étude histologique (Craham et CMAbio3). Les images obtenues par ces différents protocoles sont décrites de manière à renseigner l’aspect des tissus osseux et des éventuelles manifestations pathologiques. Un test est également réalisé par l’analyse de 50 échantillons osseux au microscope électronique à balayage (MEB pression contrôlée EDS).

Légende : Différents protocoles d’acquisition de données mis en place pour la recherche ANCESTOR. A) examen macroscopique ; B) radiographie ; C) microtomodensitométrie ; D) lame mince obtenue à mi diaphyse et observée en lumière polarisée pour une description histologique. Toutes les images proviennent du même tibia. Clichés : ANCESTOR

Un dernier volet du projet concerne la valorisation et la sauvegarde patrimoniale des ossements archéologiques conservés dans les collections actuellement détenues au sein de l’université de Caen (environ 11500 squelettes). Ces dernières constituent l’une des plus grandes ostéothèques disponibles en France pour la recherche et sont très régulièrement sollicitées par les chercheurs français ou étrangers. Les enregistrements numériques effectués dans le cadre d’ANCESTOR constituent une sauvegarde patrimoniale de l’état existant des collections ostéologiques. Leur mise à disposition d’un plus large public au sein d’une ostéothèque virtuelle facilitera l’accès aux collections, au travers de leurs copies numériques, auprès de la communauté scientifique ; favorisant ainsi leur exploitation et la mise en place de collaborations, tout en limitant au maximum les manipulations des pièces osseuses originales dans un souci de conservation. Cette ostéothèque favorisera, en outre, la diffusion du savoir scientifique acquis auprès du grand public.

Légende : Exemple de rendu numérique d’un crâne après acquisition tomodensitométrique. A) modèles 3D de l’os (transparence) et des tissus endocrâniens (bleu), B) pièce osseuse d’origine. Cliché : ANCESTOR

À l’issue des deux années projetées, il est prévu la création d’une base de données ostéo-archéologiques recensant toutes les informations biologiques, histologiques, micro-tomodensitométrique et radiologiques des 157 individus étudiés. Les données récoltées seront ensuite analysées pour déterminer l’apport de chaque méthode d’analyse au diagnostic paléopathologique et développer des outils logicistes d’aide au diagnostic paléopathologique sur les ossements d’individus immatures. Des publications scientifiques communes du protocole d’étude et des résultats ainsi que la mise à disposition en ligne d’une ostéothèque virtuelle auprès de la communauté archéo-anthropologique et du public au sens large sont envisagées.

Cette recherche, innovante par sa méthodologie et ambitieuse dans sa thématique, est l’occasion de faire dialoguer différents champs disciplinaires autour de la mise en place de protocoles d’étude et de l’interprétation des résultats. Il s’agit également d’une première étape importante de réflexion autour de la pérennité des collections archéologiques et de leur sauvegarde numérique par la création de modèles 3D.

Bibliographie

Alduc-Le Bagousse, A., Pilet-Lemière, J., 1986. « Les sépultures d’enfants en édifice religieux : l’exemple du cimetière de l’église Notre-Dame à Cherbourg (Manche) », dans Le matériel anthropologique provenant des édifices religieux, Paris, CNRS éditions, p. 61-68.

Baxter, J.E., 2008. « The Archaeology of Childhood », Annu. Rev. Anthropol. 37, p. 159-175. https://doi.org/10.1146/annurev.anthro.37.081407.085129

Baxter, J.E., 2005. The archaeology of childhood: children, gender, and material culture, Walnut Creek (CA, États-Unis d’Amérique), AltaMira Press.

Chapelain de Seréville-Niel, C., 2019. « Étude anthropologique des sépultures de l’église (2000-2018) », dans Bouet, P. (dir. ), Chambellan, A., Leullier, Y., Poussard, A., Simon, O., Caligny-Delahaye, F., Chapelain de Seréville-Niel, C. (eds.), L’église Saint-Pierre de Thaon, OREP Editions, p. 193-217.

Corron, L., Huchet, J.-B., Santos, F., Dutour, O., 2017. « Using Classifications to Identify Pathological and Taphonomic Modifications on Ancient Bones: Do “Taphognomonic” Criteria Exist? » BMSAP 29, p. 1-18. https://doi.org/10.1007/s13219-016-0176-3

De Boer, H.H., Van der Merwe, A.E., Maat, G.J.R., 2013. « The diagnostic value of microscopy in dry bone palaeopathology: A review », International Journal of Paleopathology, 3, p. 113–121. https://doi.org/10.1016/j.ijpp.2013.03.004

Gordon, J.E., Wyon, J.B., Ascoli, W., 1967. « The second year death rate in less developed countries » American Journal of Medical Sciences, 254, p. 357-380.

Lewis, M., 2018a. Paleopathology of children: identification of pathological conditions in the human skeletal remains of non-adults. London, Elsevier/AP, Academic Press.

Lewis, M., 2018b. « Biology and Significance of the Nonadult Skeleton », in: Paleopathology of Children, p. 1-15. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-410402-0.00001-1

Mensforth, R.P., Lovejoy, C.O., Lallo, J.W., Armelagos, G.J., 1978. « Part Two: The role of constitutional factors, diet, and infectious disease in the etiology of porotic hyperostosis and periosteal reactions in prehistoric infants and children », Medical Anthropology, 2, p. 1-59. https://doi.org/10.1080/01459740.1978.9986939

Niel, C., 2009. Analyse historique et paléoanthropologique des cimetières du groupe épiscopal de Rouen : La cour d’Albane et la cour des Maçons (Xe-XIVe siècles) (Thèse de doctorat), Université de Caen.

Ottini, L., Lupi, R., Falchetti, M., Fornaciari, G., Mariani-Costantini, R., Angeletti, L.R., 2005. « Molecular paleopathology: a novel perspective for biomedical history », Med Secoli, 17, p. 181-191.

Paillard, D., Alduc-Le Bagousse, A., Dupont, J.-L.P., 2022. La nécropole Michelet: bilan et perspectives des recherches sur la cité de Lisieux (Calvados) de ses origines au IXe siècle, Caen, Presses Universitaires de Caen.

Vidal, P., 2008. « The role of medical imaging in paleoanthropology », J. Radiol., 89, p. 499-506. https://doi.org/10.1016/s0221-0363(08)71454-9

World Health Organization, 1993. The health of young people: a challenge and a promise, Genève, World Health Organization.

Légende miniature :

Guillaume de Tyr, Histoire d’Outremer, France (Picardie?), entre 1232 et 1261, LOndon, BL, Yates Thompson MS 12, f. 152v. © The British Library