Les tuileries médiévales et modernes de Barbery (Calvados)

Les recherches sur les tuileries de Barbery ont débuté en 2015. L’intérêt du site réside dans la longue durée de l’activité (entre le XIVe et le XVIIIe siècle), qui permet d’étudier une éventuelle évolution typologique aussi bien des productions que des moyens de production. Cette enquête pluridisciplinaire rassemble une équipe composée de chercheurs de deux laboratoires de l’université de Caen (Craham UMR 6273 et LETG-Caen UMR 6554), du service archéologie du département du Calvados, de l’Inrap et de l’IRAMAT-CRP2A de l’université de Bordeaux. Trois opérations de terrain, prospection et fouilles, se sont déroulées en 2016, 2017 et 2019.

Porteur scientifique :

Craham – Centre Michel-de-Boüard, UMR 6273

Direction scientifique :

  • Anne Bocquet-Liénard, CNRS, Craham
  • Adrien Dubois, Craham
  • Jean-Baptiste Vincent, Craham, Archeodunum

Liste des membres du projet :

  • Paola Calderoni, Inrap Craham
  • Robert Davidson, LETG-Caen
  • Philippe Dufresne, IRAMAT-CRP2A
  • Juliette Dupré, Craham
  • Guillaume Hulin, Inrap, METIS
  • Philippe Lanos, Iramat- CRP2A
  • Mathilde Leclerc, doctorante Craham
  • Olivier Maquaire, LETG-Caen
  • Pierre Rohée archéologue indépendant
  • Xavier Savary, département du Calvados
  • Leila Tickner, contractuelle et archéologue indépendant
  • Depuis 2016, plus d’une trentaine de bénévoles

Partenaires :

Historique du projet et objectifs scientifiques

La documentation écrite de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne dans la région de Caen mentionne régulièrement l’utilisation de la tuile de Barbery comme matériau de couverture, laissant imaginer une production importante et de longue durée, dans une région pourtant traditionnellement réputée pour ses ardoises. Malgré l’espoir formulé par Michel de Boüard dès 1965 que les matériaux de couverture deviennent, à l’instar de la céramique, des « fossiles directeurs », cette question semblait avoir relativement peu intéressé les chercheurs. Un groupe réunissant archéologues, géologues, géomorphologues…) s’est mis en place en 2013 afin d’évaluer si le site de Barbery pouvait éclairer des questions variées, relatives à une éventuelle typochronologie des productions, à la nature des matières premières, à la chronologie, l’économie et l’ampleur de la diffusion, etc.

Un plan de 1783 ayant permis de repérer le secteur des tuileries au XVIIIe siècle (https://craham.hypotheses.org/580), une première prospection a été organisée en 2016. La prospection magnétique a permis de circonscrire les lieux de production, le ramassage de surface, d’évaluer la nature des productions, et les carottages, de récolter sur les lieux probables d’extraction des matières premières afin de définir leurs caractéristiques physico-chimiques (https://craham.hypotheses.org/82). L’étude des carottes en 2017 a montré la bonne qualité des argiles utilisées par les tuiliers et mis en évidence une utilisation de l’argile sans traitement majeur.

En 2017, deux fours ont été fouillés, correspondant à deux anomalies magnétiques proches l’une de l’autre (https://craham.hypotheses.org/1381).

Les deux fours présentaient des dimensions et des états de conservation différents, dus à leur niveau d’installation dans le socle géologique. Si les deux fours se différenciaient au niveau de l’alandier, leur plan rectangulaire était néanmoins similaire : deux couloirs de chauffe séparés par un muret central. Sur le four possédant les élévations les plus conséquentes, l’emplacement d’arcs en brique soutenant la charge à cuire avait pu être identifié. Dans les maçonneries, de nombreuses reprises en sous-œuvre avaient été observées, mais la chronologie des réfections, même relative, était difficilement identifiable. L’étude archéomagnétique conjuguée aux datations radiocarbones avait permis de dater la dernière utilisation de l’un des fours dans l’intervalle 1416-1448 et celle de l’autre entre 1619 et 1647.

En parallèle de la fouille, une prospection électrique avait permis d’identifier plus précisément le plan des fours détectés par la méthode magnétique et de révéler un édifice rectangulaire (habitation, lieu de stockage…) figuré sur le plan de 1783. Certaines anomalies magnétiques considérées comme des fours n’avaient pas réagi à la méthode électrique, laissant planer un doute sur leur nature.

En 2018, l’examen à l’œil nu et à la loupe binoculaire des pâtes de tuiles de Barbery et d’autres productions, retrouvées en fouille dans la région ou repérées en prospection pédestre, a permis de proposer une première carte de diffusion de groupes de pâtes et de repérer quelques édifices actuellement encore couverts en tuile de Barbery (église de Quilly à Bretteville-sur-Laize par exemple). En 2019, deux autres fours ont été fouillés (https://craham.hypotheses.org/2960). Ils se sont avérés d’une configuration similaire au four médiéval fouillé en 2017 : de forme rectangulaire (7 m x 4,5 m environ), ils ont été construits en TCA dans un creusement réalisé dans le substrat argileux. Leur orientation est également similaire, grossièrement est-ouest. Un de ces fours présentait un état de conservation très satisfaisant : deux des arcs supportant les tuiles destinées à la cuisson étaient conservés, de même qu’une partie de la voûte de l’alandier. La typologie des tuiles récoltées dans le comblement paraît assez uniforme pour compléter les données récoltées en 2017 et espérer poursuivre la mise en place d’une typochronologie. Les datations 14C et archéomagnétiques situent la dernière cuisson dans la seconde moitié du XIVe siècle [1344-1408], ce qui coïncide avec la première mention de la tuilerie des religieux de Saint-Étienne de Fontenay (qui ont donné le nom à la parcelle de terre) à Barbery. Cependant, il ne semble pas pouvoir s’agir ici du four dont les religieux souhaitent la reconstruction en 1504 en précisant qu’il faudra « faire le four de ladite thuylerie bien et suffisamment et icelluy hauchier de 4 ou 5 pieds ». Par ailleurs, le grand secteur (800 m2) décapé autour de ce four n’a, pas plus que pour les autres, permis de découvrir d’éventuelles structures annexes (espaces de travail, de stockage…) : il devient de plus en plus probable que la légèreté de ces installations n’a pas dû laisser de vestiges décelables.

L’autre four fouillé en 2019 paraissait à première vue moins bien conservé, le sol des couloirs apparaissant à 30 cm sous les labours. Cependant, de nombreuses recharges successives des couloirs de chauffe ont été observées : il s’agirait donc a priori d’une technique de restauration de la structure différente de celle mise en évidence en 2017. Par ailleurs, la fouille a révélé, en dessous de ces niveaux, l’existence d’un four antérieur, un peu plus petit, mais de configuration générale très comparable. Cette observation amène à s’interroger sur les raisons pratiques et sans doute juridiques qui conduisent à reconstruire le four à l’exact même emplacement qu’un four devenu inutilisable. Cependant, il n’a pas paru souhaitable lors de l’opération 2019 de fouiller intégralement le four le plus ancien, ce qui aurait nécessité le démontage d’une partie du four plus récent, impossible avant les prélèvements archéomagnétiques en fin d’opération. La poursuite de la fouille, initialement prévue en 2020, est donc prévue pour 2021.

En parallèle de la fouille, de nouvelles prospections magnétiques ont été réalisées, en vue d’élargir le secteur prospecté et d’affiner l’analyse des anomalies magnétiques. Dans cette dernière optique, un sondage a été réalisé : il a révélé un lot d’obus de la seconde guerre, ce qui a encouragé à pratiquer un contrôle des anomalies avec un détecteur de métaux. Si quelques anomalies résistent toujours à l’analyse, la majorité d’entre elles sont ainsi désormais interprétables.

Enfin, la poursuite de l’étude des sources écrites ayant mis en évidence l’existence de lieux d’extraction de l’argile différents de ceux étudiés jusqu’à présent, un nouveau carottage a permis de découvrir l’argile rouge utilisée par les tuiliers à seulement 2 m sous le sol actuellement cultivé. Un autre carottage, effectué dans la fosse de travail d’un des fours, permettra de caractériser une argile jaune, substrat encaissant dans lequel le four a été installé, qui a probablement été utilisée comme liant dans la construction du four.

Si les événements de 2020 ont amené à reporter une partie des objectifs à l’année suivante, les résultats sont suffisamment encourageants pour que l’étude soit poursuivie : tout indique que cette production présentait une ampleur insoupçonnée (qui amène déjà à discuter l’idée du déterminisme géographique qui a longtemps prévalue quant à l’usage des matériaux de couverture), tandis que des premiers indices de typochronologie laissent espérer de concrétiser le vœu formulé par Michel de Boüard il y a une cinquantaine d’années.

Aspects méthodologiques (pour tout type de projet) et techniques (notamment pour les bases de données et publications en ligne)

L’intérêt du programme de recherche réside en partie dans l’interdisciplinarité qu’il nécessite (historien, archéologue, géomorphologue, géologue, archéomètres…) et dans le dialogue permanent qu’il induit entre les disciplines : si les archives et les prospections géophysiques ont permis de localiser assez précisément les lieux d’exploitation (extraction et production), les résultats des opérations de terrain amènent désormais à une relecture des textes et à une analyse de plus en plus fine des anomalies magnétiques.

Bibliographie (communications, articles, volumes collectifs autour du projet)