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Renouvellement d’accueil d’Aleksander Musin dans le cadre du Programme PAUSE

  • Dernière modification de la publication :3 septembre 2024
  • Post category: Actualités

Le Craham continue à accueillir depuis le début du mois de mars 2023 Aleksandr Musin, dont le séjour scientifique en France a été récemment renouvelé pour l’année académique 2024-2025 par le Programme PAUSE pour les chercheurs en exil piloté par le Collège de France et co-financé par l’université de Caen Normandie.

A. Musin travaille avec le Centre Michel de Boüard-Craham (UMR 6273) depuis de nombreuses années et a initié dès 2007 des projets de collaboration avec notre UMR, dont il est membre associé depuis 2020. Ses projets, ainsi que toute une partie de la recherche déjà réalisée par A. Musin, s’inscrivent dans les problématiques développées par le Craham dans les thèmes du quinquennal 2022-2026 de l’unité, en particulier les thèmes sur les « Mondes nordiques et normands médiévaux » et « Sociétés, objets, territoires ».

Bilan des activités 2023-2024

Son premier projet de recherche dans le cadre du Programme PAUSE en 2023-2024 était intitulé « L’Europe centrale et orientale : les Normands et les Slaves dans l’histoire partagée », dont les grandes lignes sont les suivantes : réévaluer l’histoire de l’Europe centrale et orientale ainsi que ses liens avec le monde scandinave et réviser la tradition historiographique y compris le concept artificiel de la « Rous’ de Kiev » en mettant l’accent sur les systèmes de valeurs socio-culturelles au lieu des identités ethniques et politiques.

Dans le cadre de ce projet, A. Musin a coorganisé avec le professeur d’histoire médiévale Pierre Bauduin  le séminaire-atelier sur l’historiographie de l’Europe centrale et orientale « Histoire et violence en Europe centrale et orientale » qui constituait une étape préparatoire du colloque international « L’historiographie de l’Europe centrale et orientale (du Moyen Âge à nos jours) : les enjeux contemporains d’une réévaluation » préparé par les trois laboratoires de l’université de Caen Normandie : Craham, HisTéMé et ERLIS et prévu les 21-22 mars 2025 à Caen.

Pendant l’année 2023-2024, les travaux d’A. Musin ont été discutés dans 4 séances de séminaire du Craham et 11 interventions dans le cadre des cours du Département d’Histoire, en Licence (parcours Sciences Politiques et parcours Sciences Sociales) et en Master (atelier d’histoire médiévale), ainsi que dans des cours du Département d’Études russes et polonaises en licence (Civilisation : Histoire de la Russie des origines jusqu’à la fin du XVIIe siècle ; Initiation à l’histoire de l’art russe ; L’âge d’argent et les avant-gardes russes ; La littérature russe et l’expérience extrême) destinés à des étudiants de Licence.

A. Musin a participé à 6 colloques et journées d’études à Caen, à Paris et à Lyon (« Sous le signe de Saxo : histoire, identité et nation dans la Geste des Danois » ;  Regards croisés autour de l’objet médiéval # 8 «  Matériel d’écriture » ; « Les figures de saints réactualisées dans les cultures contemporaines » ; «  La vie à travers la mort », « Boire dans les pays nordiques et germaniques »). La candidature d’A. Musin a été incluse dans la Délégation française au Congrès International des Slavistes, 25-29 août 2025, avec une communication intitulée « La Bible, les annales et le folklore dans l’imaginaire géographique, politique et eschatologique du chroniqueur du roi Daniel ».

Le projet a permis aussi d’avancer l’étude de l’histoire d’Anne de Kiev, épouse du roi de France Henri Ier en 1051 qui a fait l’objet d’un retour vers le grand public dans le cadre du programme « Midi Mémorial » au Mémorial de Caen, organisée en partenariat avec le Programme Pause, l’université de Caen Normandie, le Craham et la ville de Caen (Musée de Normandie).

Par ailleurs, en 2023-2024, A. Musin a publié 11 articles. Ils sont parus dans des blogs de recherche (L’archéologie de mots : les documents médiévaux sur écorce de bouleau en Europe orientale dans le contexte de la culture matérielle ; Nouvelles découvertes d’inscriptions runiques à Novgorod : petit bilan des recherches ; Le matériel et les moyens d’écriture quotidiens en Europe orientale au Moyen Âge) ainsi que dans des revues scientifiques telles que Numismatic News (sur la pratique de scellement des documents et des marchandises avec des sceaux en plomb en Europe centrale et orientale au Moyen Âge), Stratum plus (sur les objets de dévotion privée orthodoxe et le changement de pratiques religieuses à la frontière polono-ukrainienne au XIVe siècle) et sur www.kunsttexte.de (sur le Kunstschutz russe pendant la Première guerre mondiale). Il a publié des chapitres dans des ouvrages collectifs (analyse du sceau en plomb de la tradition byzantine, découvert sur le site médiéval Kruszwica en Pologne ainsi que le séjour des Rous à Constantinople et les relations de Byzance avec l’Europe de l’Est). À cela s’ajoutent des travaux de vulgarisation sur les Scandinaves à l’Est, la « Rus’ de Kiev » et les querelles « normanistes-antinormanistes » en Russie  (L’Histoire Collection). Ses articles sont acceptés pour publication dans la Revue des études slaves, la Slavica Occitana et la Source(s). Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe.

A. Musin a également donné des interviews pour Canal-U et le journal Ouest-France et a présenté un article analytique intitulé « De la démocratie en Russie » dans la revue polonaise Nouvelle Europe de l’Est.

De nouveaux projets de recherche

À la faveur d’un renouvellement de son accueil soutenu par l’Unicaen et le Programme PAUSE en 2024-2025, A. Musin a lancé un nouveau projet intitulé « Le Récit des temps passés et la Première Chronique de Novgorod : deux versions du début de l’histoire médiévale de l’Europe de l’Est ? » au sein du Craham.

L’intérêt de la société française pour l’Europe de l’Est et son histoire, suscité par les événements tragiques en Ukraine, suppose inévitablement la connaissance des sources médiévales sur les processus de genèse politique, ethnique et culturelle des Slaves orientaux. Dans cette situation, il est important de fournir à l’usage d’un public cultivé et de la communauté universitaire des publications solides des chroniques relatant les débuts de l’histoire de l’Europe de l’Est.

La chronique dite Récit des temps passés et la Première Chronique de Novgorod 

Aujourd’hui les connaissances du lecteur français sur l’histoire de l’Europe de l’Est médiévale se basent principalement sur trois traductions (1834, 1884, 2008) du Récit des temps passés (désormais RTP), chronique compilée à Kyiv dans le milieu monastique au début du XIIe siècle qui est conservées dans différentes éditions. Cette chronique est connue généralement sous le titre « Chronique de Nestor » même si le nom de Nestor comme son auteur n’est apparu qu’aux Temps Modernes pour s’ancrer à l’historiographie ultérieure. Aujourd’hui il est évident que ce moine du monastère des Grottes de Kyiv se présente plutôt comme Nestor l’Hagiographe dont les récits à caractère hagiographique sur les moines des Grottes ont été ensuite réemployés dans le RTP, que comme Nestor le Chroniqueur. La chronique s’avère être l’œuvre de plusieurs auteurs.

Le RTP se concentra sur l’histoire de la Rous’, une entité politique des IXe-XIe siècles, située autour de Kyiv dans la région du Dniepr Moyen tandis que ses continuations relatèrent dans leurs récits les évènements advenus dans les parties sud et centrale de l’Europe de l’Est.

Dans ce contexte, l’intérêt académique pour la Première Chronique de Novgorod (désormais IChN), une source unique sur l’histoire de Novgorod, est évident.  En effet, il s’agit d’une ville dont l’ordre social et politique était assez différent des autres pays de l’Europe de l’Est, même si cet ordre peut difficilement être qualifié de républicain. Cependant, malgré l’existence de traductions anglaise, allemande, danoise, polonaise et suédoise de la chronique, il n’existe toujours pas de traduction française de ces annales.

Le projet d’A. Musin devrait combler cette lacune. L’objectif principal du projet est de traduire le texte de la version ancienne de la IChN en français avec des commentaires et annotations historiques, archéologiques, ethnologiques et linguistiques détaillées. Ces commentaires sont regardés comme un instrument important pour comprendre les annales médiévales.

La version ancienne de la IChN est représentée par un codex unique des XIIIe-XIVe siècles (Musée historique d’État, collection de la Bibliothèque synodale, ms 789). Il a été terminé avant la copie plus ancienne du RTP dans le Codex Laurentien (Bibliothèque nationale de Russie, ms F.п.IV.2 ; 1377). Le Codex dit Synodal fut transcrit en deux ou trois étapes : les pages avec les informations sur les années 6524 (1016) – 6742 (1234) ont été copiées pendant le milieu et la deuxième moitié du XIIIe siècle et le reste, couvrant la période jusqu’aux années 6841 (1333) ainsi que les entrées consacrées aux années 6845 (1337), 6853 (1345) et 6860 (1352), dans les années 1350. Malheureusement, les premiers cahiers de l’ancienne version de la IChN jusqu’à l’année 6524 (1016) sont perdus et le cahier avec les années 6781-6806 (1273-1298) n’a pas non plus survécu. Cependant, le contenu de ces derniers est restitué de manière plus ou moins fiable à partir de la version récente de la IChN.

La situation est plus délicate avec la première partie de la IChN avant l’année 6524 (1016). Le texte, présenté dans la version récente de la IChN, donne « un point de vue sensiblement différent », selon Pierre Gonneau, sur l’histoire médiévale de l’Europe orientale par rapport aux autres chroniques (idéologie de la supériorité de Novgorod sur Kyiv, chronologie particulière, absence du texte des traités des Rous’ avec Byzance, événements inconnus ou absence d’une partie des informations du RTP).  En historiographie, il existe une opinion établie selon laquelle dans la partie initiale de la version récente de la IChN ainsi comme dans certaines entrées sur les évènements du XIe siècle s’est préservée la soi-disant Compilation Initiale, une chronique hypothétique de la fin du XIe siècle qui a précédé le RTP. Cependant, ce texte montre les modifications qui ne datent que du XVe siècle. Il est difficile d’imaginer que ce texte sous la forme sous laquelle il est connu aujourd’hui se trouvait dans la version ancienne de la chronique.

La version récente de la IChN qui prolonge l’histoire de Novgorod des années trente du XIVe siècle jusqu’à1446 est présentée dans trois manuscrits principaux : manuscrit dit de la Commission archéographique, milieu du XVe siècle (Institut d’histoire, Saint-Pétersbourg, ms no 240), manuscrit dit de l’Académie des sciences, milieu des années quarante du XVe siècle (Bibliothèque l’Académie des Sciences, Saint-Pétersbourg, ms 17.8.36) et manuscrit de la Collection de Fiodor Tolstoï (1758-1849), copie du manuscrit dit de l’Académie faite dans les années vingt du XVIIIe siècle quand ce dernier n’a pas encore perdu certaines de ses feuillets (Bibliothèque nationale de Russie, ms F.IV.223).  Les manuscrits présentent des pertes partielles et les textes des trois copies se sont complétés pour réaliser une édition critique.

Le projet de traduction comprend une large introduction historiographique concernant les études des chroniques de l’Europe de l’Est des XIIe-XVe siècles, les caractéristiques des manuscrits préservés et les éditions critiques et surtout l’analyse des relations intertextuelles entre les chroniques ainsi que leurs lectures différentes dont les particularités sont probablement capables de montrer le temps et les circonstances de leur apparition. L’analyse linguistique, qui est inévitable lorsqu’on étudie les chroniques, ne doit pas masquer le contenu principal de ces textes, en l’occurrence, l’histoire de la société et la pensée commune que reflètent ces récits. À ces fins, le projet implique la lecture anthropologique des chroniques.

Il serait erroné de supposer que toutes ces questions n’intéressent que les slavistes, les linguistes et les historiens, plongés dans les problèmes de l’Europe de l’Est. Les spécialistes de l’histoire de l’Europe latine et le public cultivé ont le droit d’accès aux richesses de l’histoire de Novgorod et à ses relations actives avec les mondes occidentaux et septentrionaux. La chronique de Novgorod nous présente les particularités de la présence des Scandinaves dans la ville avec leurs « églises varègues » et du commerce avec l’île de Gotland et avec le Danemark. Elle nous montre l’évolution de l’attitude envers les Européens au XIIIe siècle et le changement du vocabulaire ethnique et social ainsi que la différenciation entre les Varègues, les Suédois et les Allemands lors du commencement des contacts hanséatiques. L’entrée sous l’année 6712 (1204) contient le récit de la prise de Constantinople par les Francs écrit quelques décennies après le drame, témoignage important de l’histoire de la IVe croisade comparable aux histoires de Nikètas Chôniâtes, de Geoffroy de Villehardouin et de Robert de Clari.

La traduction et les commentaires se feront en collaboration avec le projet « Anni Normanni – Édition numérique des textes annalistiques normands médiévaux » lancé à la fin de 2023 et dirigé par Fabien Paquet, maître de conférences en histoire médiévale au Craham, à l’université de Caen Normandie.

Séminaires, cours et publications

Les travaux d’A. Musin seront discutés lors de séances de séminaire y compris « Éditer et traduire des textes annalistiques : défis et possibilités nouvelles » et des cours dans le cadre d’enseignement de Licence et de Master du Craham (UFR HSS) et du Département d’Études russes et polonaises (UFR LVE), Université Caen Normandie.  La publication de l’article « Écrire l’histoire de l’Europe de l’Est autrement : la Première Chronique de Novgorod entre les mondes médiévaux slave, nordique et latin » est prévue dans la revue électronique Tabularia, Sources écrites des mondes normands médiévaux. Il peut être envisagé une publication des résultats du projet en ligne et en version papier.

Il est encore à noter que dans le deuxième semestre de l’année 2024-2025 A. Musin animera des cours magistraux et des travaux dirigés d’analyse des documents de la civilisation russe y compris le nouveau cours « Médiévalisme ou “long Moyen Âge” ? Le passé médiéval dans la vie sociale, l’art verbal et la culture visuelle dans la Russie des XIXe-XXIe siècles » au Département d’Études russes et polonaises de LVE dans le cadre du remplacement de la maîtresse de conférences Irène Semenoff-Tian-Chansky-Baïdine qui partira en congé de recherche.

La réussite du séjour d’A. Musin en Normandie doit beaucoup à l’aide et au soutien du Carré international de l’Unicaen et du coordinateur du Centre de services EURAXESS Emmanuel Buteau.